Monsieur le Ministre,

Dernièrement, la survie de la Cour Pénale Internationale (CPI) est mise en péril. En effet, le président de l’Union africaine, le Zimbabwéen Robert Mugabe, a annoncé le retrait de l’Afrique de cette juridiction permanente et ce, dès le mois de juin. Mais ce n’est pas tout ! Monsieur Mugabe a également proposé la création d’une Cour africaine de Justice internationale pour juger les affaires criminelles actuellement soumises à la CPI. Cette annonce n’est pas très étonnante puisque l’Afrique critique de plus en plus la CPI, qu’elle considère comme raciste.

Monsieur le Ministre,

§  Pouvez-vous me dire ce qu’il en est de l’annonce du président de l’Union africaine de quitter la Cour Pénale Internationale ?

 

§  Quel sera encore le crédit de la CPI en cas de départ de l’Afrique étant donné que toutes les enquêtes depuis 2002 sont situées sur ce continent ?

 

§  Comment donner une bonne image de cette juridiction permanente alors que cette annonce de départ marque l’impunité non seulement des dirigeants africains mais également de leurs hommes de main ?

 

§  Ne faudrait-il pas réformer la Cour afin de contrer l’échec de l’universalité de la justice et mettre l’accent sur l’importance de la justice pour la réconciliation? Si oui, de quelle(s) manière(s) ?

 

REPONSE:

Les rumeurs d’une décision de l’UA, qui enjoindrait les Etats africains parties au Statut de Rome de s’en retirer, ont été lancées par quelques dirigeants d’Etats parties  et non parties parmi les plus virulents à l’égard de la Cour.  Ceux-ci reprochent à la Cour de poursuivre exclusivement des cas en Afrique. Elles ont été lancées en réaction à la délivrance des mandats d’arrêt à l’encontre du Président soudanais Al Bashir (suite au renvoi à la Cour, par le Conseil de Sécurité des Nations Unies en 2005, de la situation au Darfour (Soudan)) et des citations à comparaître à l’encontre du Président kenyan Kenyatta et de son Vice-Président Ruto pour leur rôle dans la violence post-électorale au Kenya en 2007/2008 (suite à la saisine, d’initiative par le Procureur de la Cour, de la situation au Kenya, à défaut d’action de la part des juridictions nationales). L’annonce faite par R. Mugabe, actuellement à la présidence de l’Union africaine doit être vue comme s’inscrivant dans cette mouvance.

Aucune décision de l’UA enjoignant ses Etats membres à se retirer du Statut de Rome n’a été prise jusqu’ici.

Un éventuel retrait ne pourrait être décidé que souverainement par chaque Etat partie au Statut de Rome. L’Union Africaine n’est pas en tant que telle partie au Statut de Rome.

Un retrait du Statut de Rome n’aurait par ailleurs de conséquence que pour l’avenir et ne mettrait pas fin aux affaires en cours.

L’Afrique est d’ailleurs aussi bien sujet qu’acteur dans l’administration de la justice pénale internationale. Un grand nombre d’Etats africains parties au Statut de Rome soutiennent et coopèrent activement avec la CPI.   Des personnalités africaines sont également actives au sein de la CPI. Le Ministre de la Justice du Sénégal, Monsieur Sidiki Kaba, a été élu Président de l’Assemblée des Etats parties au Statut de Rome en décembre 2014. Et l’actuel Procureur de la Cour, Madame Fatou Bensouda, est l’ex-Ministre de la Justice de la Gambie. Tous deux œuvrent activement mais avec diplomatie pour améliorer l’image et l’efficacité de la CPI en Afrique et pour rapprocher la Cour des victimes qui sont tout aussi africaines que leur bourreaux.

Les Etats africains, en leur qualité d’Etats parties à l’Accord de Cotonou avec l’Union Européenne, se sont par ailleurs engagés, en promouvant le renforcement de la paix et de la justice internationale, à partager des expériences concernant l’adoption d’amendements législatifs nécessaires pour permettre la ratification et la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et à lutter contre la criminalité internationale conformément au droit international, en tenant dûment compte du Statut de Rome. L’article 11.7 de l’Accord de Cotonou prévoit que les parties s’efforcent de prendre les mesures en vue de ratifier et de mettre en œuvre le Statut de Rome et les instruments connexes. Des considérations préalables s’imposeront donc avant qu’un Etat partie prenante dans l’Accord de Cotonou ne décide de se retirer du Statut de Rome.

Le Statut de Rome inscrit clairement la Cour pénale internationale dans la lutte contre l’impunité, la prévention de nouveaux crimes et la recherche d’une paix durable au moyen de la justice.

Il n’est pas nécessaire de réformer le système mis en place par le Statut de Rome pour mettre un accent supplémentaire sur l’importance de la justice pour la réconciliation. Le travail d’amélioration de l’image de la Cour doit se faire par la sensibilisation des populations concernées et par un renforcement de la communication sur les missions de la Cour et les procédures à respecter. Ce travail est déjà effectué notamment par le biais des bureaux de liaison ouverts par la Cour dans les pays concernés. La Belgique accorde beaucoup d’importance à ce travail de sensibilisation. La Belgique est par ailleurs très active en matière de coopération avec la Cour et veille à sensibiliser les autres Etats parties au renforcement de leur coopération.

En ce qui concerne la création d’une Cour africaine de Justice internationale, l’UA a effectivement adopté, en juin 2014, un protocole, appelé Protocole de Malabo, qui a pour objet de fusionner l’actuelle Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme (ACJHR) à Arusha avec une Cour de Justice de l’Union Africaine afin de créer la nouvelle Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme et des Peuples.

Cette juridiction aura notamment des compétences en matière pénale pour juger les responsables de crimes graves de droit international, dont les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. Ce Protocole prévoit toutefois que les chefs d’Etat, chefs de gouvernement et les hauts responsables bénéficient d’une immunité pendant la durée de leur mandat. Cette clause relative à l’immunité des hauts dirigeants est clairement motivée par les poursuites entamées par la CPI à l’encontre des chefs d’Etats du Soudan et du Kenya. Le Protocole de Malabo ne pourra entrer en vigueur qu’après sa ratification par 15 Etats, ce qui peut prendre plusieurs années. L’Union Européenne a déjà fait savoir à l’UA qu’elle envisagerait de suspendre son financement à la Cour africaine si le Protocole de Malabo venait à entrer en vigueur, en raison notamment de la clause relative à l’immunité des hauts dirigeants qui va droit à l’encontre des principes à caractère universel qui constituent le fondement du Statut de Rome. La Belgique s’inscrit bien entendu totalement dans cette position européenne.