Caroline Cassart-Mailleux (MR): Madame la présidente, monsieur le ministre, le traité transatlantique, ou TTIP, a déjà fait couler beaucoup d'encre, surtout concernant des supposés effets pervers et négatifs, tels que l'arrivée de poulets chlorés dans nos assiettes ou la privatisation de nos services publics. Si on résume le TTIP aux poulets chlorés, il est clair que nous y serons défavorables. Nous devons avoir une vision différente. Si la Commission européenne, sous mandat du Parlement européen, négocie ce traité avec les États-Unis, c'est dans le but d'amener de la croissance en Europe en simplifiant les échanges transatlantiques via l'élimination des barrières tarifaires et non tarifaires. Un but noble qui, pourtant, semble ne pas convaincre au vu des peurs véhiculées auprès des citoyens. Or, selon le rapport d'une étude d'impact du TTIP, la Belgique tirerait son épingle du jeu. Une bonne nouvelle dont je me réjouis évidemment! Une bonne nouvelle, certes, mais à nuancer: certains secteurs seraient favorablement impactés tandis que d'autres risqueraient de souffrir. Il faut être prudent: les études d'impact sont des exercices difficiles à mener. D'autres études seront encore publiées, qui renforceront ou non les résultats de celle-ci. Je resterai vigilante dans ce dossier. Si je me réjouis de l'impact positif que le TTIP aura sur certains secteurs de notre économie, je plaide pour un accompagnement des secteurs qui seraient lésés par le traité, en réfléchissant dès aujourd'hui à des aides spécifiques à ces secteurs, de façon à ce qu'ils ne souffrent pas d'impacts négatifs du TTIP, ou à une renégociation de certains points. La Belgique sortirait donc globalement gagnante du TTIP. Il s'agit alors de s'en réjouir et non de cultiver les peurs au sein de la population. Il s'agit d'informer clairement le citoyen afin qu'il comprenne que le TTIP n'est pas un cheval de Troie mais bien une opportunité sans précédent de créer de la croissance. Monsieur le ministre, le sujet est délicat. De plus, il convient d'être prudent et de disposer de l'ensemble des études. Au vu des résultats de l'étude qui pointe notamment les secteurs qui souffriront du TTIP, est-il encore possible à l'heure actuelle de revenir sur ces points éventuellement déjà négociés, afin d'éviter l'impact négatif sur ces secteurs? Dans le cas contraire, réfléchissez-vous à des mesures d'aides spécifiques à ces secteurs qui seraient vraisemblablement impactés négativement par le TTIP? Quelles sont les aides que vous envisagez pour soutenir les exportations des PME belges vers les États-Unis? Dans la foulée du TTIP, qu'en est-il de l'impact du traité négocié avec le Canada, dont on parle beaucoup moins? La Belgique en bénéficiera-t-elle? Si oui, comment?

Willy Borsus, ministre: Madame la présidente, mesdames et monsieur les députés, les 28 États membres ont octroyé à la Commission européenne un mandat de négociation avec les autorités américaines sur ce traité de libre-échange. Le douzième round de négociation se déroulait du 22 au 26 février 2016, à Bruxelles, avec un certain nombre de mécanismes de monitoring et de communication des états des lieux successifs de cette négociation ainsi que pour la mise à disposition de certains documents. Dans l'hypothèse d'une conclusion de cet accord, la décision de ratification du projet de traité reviendra à l'ensemble des États membres, de leurs parlements, de leurs gouvernements et au Parlement européen. En ce qui me concerne, je puis vous assurer que je reste extrêmement attentif aux négociations sur le TTIP et à l'impact de cet accord sur les agricultures belge et européenne. Les services, mon équipe et moi-même sommes d'ailleurs en contact permanent avec les responsables des Affaires étrangères qui suivent de manière attentive l'évolution des négociations. Monsieur Gilkinet, je dois cependant corriger votre propos. Je ne pense pas entraîner les agricultures belge et européenne dans le mur. Au contraire. Si vous me citez dans un texte, citez-moi globalement. J'ai une mémoire assez fidèle de ce que j'ai dit. Si on en retire un paragraphe en n'ajoutant pas "à condition que", on dénature mon propos. Il serait élégant que vous puissiez en convenir dans votre réplique, mais je laisse ceci à votre appréciation. En ce qui concerne le rapport du département américain de l'Agriculture, je vous confirme que je l'ai analysé en détail et en y examinant en profondeur les conclusions; je dois d'ailleurs remercier notre ami Marc Tarabella qui fut un des premiers à en faire largement écho auprès de tous ceux qui suivent les dossiers agricoles. Cette étude contextualise l'importance de l'agriculture pour ces deux acteurs majeurs que sont les ÉtatsUnis et l'Union européenne. Rappelons que les États-Unis et l'Union européenne, c'est 31 % de la production agricole mondiale. On parle d'un commerce bilatéral agricole estimé en 2011 à 35 milliards. Il s'agit donc d'un dossier gigantesque qu'il faut également considérer dans sa dimension asymétrique des droits tarifaires sur les importations. L'étude d'impact américaine envisage trois scenarios en tenant compte, au départ de l'année de référence 2011, de la suppression des droits de douane dans le scénario 1, de la suppression des droits de douane et des barrières non tarifaires dans le scénario 2 et de la prise en compte de la préférence des consommateurs suite à une modification des barrières non tarifaires dans le scénario 3. Cette étude conclut que l'accord du TTIP tendra vers une augmentation importante du montant des exportations américaines vers l'Union européenne. Cet afflux massif entraînerait une progression de presque tous les prix agricoles aux États-Unis alors qu'une pression à la baisse devrait s'observer sur certains secteurs agricoles. Un ministre de l'Agriculture normalement constitué, comme j'ai l'ambition de l'être, qui lit cela dans une étude d'un partenaire avec lequel nous négocions ne doit-il pas être interpellé, inquiet, vigilant et actif? Oui, bien sûr, et c'est mon attitude. J'ai assisté, jeudi et vendredi, à la réunion des ministres de l'Agriculture de l'OCDE à Paris, en présence de mes collègues américain, néozélandais, canadien. Le fait de s'exprimer vivement dans un communiqué de presse est une chose mais tenter de déployer une stratégie offensive concertée qui a des chances d'aboutir est également important. En ce qui concerne cette étude, soyons aussi de bon compte. Elle a été réalisée par les États-Unis pour les États-Unis. Je me suis demandé comment on pouvait produire une telle étude alors qu'elle doit avoir un impact sur les négociateurs de l'autre partie. Cela revient à leur donner des arguments à charge. Par ailleurs, en ce qui concerne ma vision globale, je considère que dans un pays comme le nôtre où les exportations sont extrêmement importantes et où l'agroalimentaire peut aussi receler un certain nombre d'opportunités intéressantes, que ce soit pour le secteur agricole ou pour d'autres secteurs, en aucun cas – j'insiste, monsieur Gilkinet – les accords d'échanges commerciaux ne doivent se traduire par une négociation où l'agriculture serait la dernière variable d'ajustement, où l'on sacrifierait un certain nombre de modèles, où 'lon ajouterait une dimension de difficulté à tout ce que notre secteur agricole connaît déjà, où l'on viendrait ouvrir les portes sans les mêmes conditions de bien-être animal, sanitaire, de traçabilité, de qualité, de production et d'autres éléments encore, bref des fondamentaux de ma conviction agricole qui est bien connue. J'ai donné des dizaines d'exposés, de conférences ou de communications sur le sujet. En pleine logique, lors du Conseil des ministres européens, le 15 février dernier, j'ai donc demandé, avec d'autres pays, l'élaboration d'une étude d'impact cumulée. En effet, il faut non seulement calculer le méga-accord mais il faut aussi voir avec le Mercosur, le Canada et d'autres ce que cela va donner. Phil Hogan a accepté cette demande des pays dont la Belgique, avec une échéance pour septembre ou octobre de l'étude cumulée menée par les services européens. Bien sûr, nous portons une autre revendication par rapport à des mécanismes de sauvegarde. Attention au contingent d'importations! Je viens de lire ce qui s'est, semble-t-il, subitement passé dans le Mercosur avec une forme d'accélération et un contingent d'importations qui sort brutalement de nulle part et à propos duquel lundi matin, à Luxembourg, j'ai interrogé Phil Hogan. Vous m'avez interrogé au sujet de l'impact en Belgique. Á cet égard, j'ai demandé une analyse d'impact au SPF Économie avec un volet agricole. Cette étude doit être disponible dans le courant de l'été. Dans une totale transparence, je ne manquerai pas de vous transmettre toutes ses conclusions. Croyez-le bien, dans ce dossier d'une extraordinaire importance pour l'économie en général, pour certains secteurs en particulier, pour les PME comme pour l'agriculture, dire "je ferme la porte" alors que le reste du monde ouvre un certain nombre de négociations les uns avec les autres, ne me paraît pas stratégiquement opportun. Par contre, être une seule seconde distrait, faible ou non mobilisé par rapport à un certain nombre d'enjeux mais aussi de risques serait gravissime à mes yeux. Voilà ce que je souhaitais partager avec vous de façon trop résumée parce que ce dossier mériterait que nous discutions une journée ensemble, point par point, matière par matière, de façon très précise. Voilà les fondamentaux de ma conviction. Cette étude américaine a, bien sûr, toute son importance. J'attends avec une grande impatience l'étude cumulée au niveau européen et l'étude du SPF Économie sur le plan global et secteur agricole compris.

Caroline Cassart-Mailleux (MR): Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse. Il est clair, monsieur Gilkinet que vous interprétez erronément des positions que nous prenons. J'ai toujours dit que nous devions être prudents, attentifs, transparents en ce qui concerne ce TTIP. J'ai clairement dit aussi que la meilleure information ne consistait pas à effrayer le citoyen. Par contre, je remercie le ministre par rapport aux réunions bilatérales qu'il est occupé à mettre en place et par rapport à la nouvelle étude qui sortira d'ici la fin de l'année. Nous avons besoin de compléments d'informations pour prendre une position. De toute évidence, nous serons vigilants dans ce dossier. Le secteur de l'agriculture est dans mes gènes. Il est pour moi une priorité. Par conséquent, nous soutiendrons et nous n'irons pas, comme vous le dites, dans le mur. Nous serons attentifs à ce secteur, je vous l'assure!