Madame la
Secrétaire d'Etat,
Une étude intitulée
"De evolutie van het beleid van armoedebestrijding in de stenden",
coréalisée par les universités de Mons et de Gand, a été lancée en 2015. Cette
étude se clôturera en octobre 2016.
Outre la
réalisation d'une étude globale de la politique de lutte contre la pauvreté
dans les villes abritant plus de 60.000 habitants, cette étude poursuit
également l'objectif d'effectuer une analyse de la politique dans six villes
(deux par région) et de son évolution au cours de ces dix dernières années.
C'est la première étude de ce genre en Belgique.
Ces analyses de la
politique s'intéresseront également particulièrement à l'approche de la
pauvreté infantile. A ce sujet, il était prévu qu'un rapport intermédiaire
sorte en février 2016.
Madame la Secrétaire d'Etat,
§ Pouvez-vous me dire si le rapport intermédiaire concernant la pauvreté
infantile a été présenté? A défaut, pour quand est-il prévu?
§ Quelles sont les grandes lignes de ce rapport intermédiaire?
§ Pouvez-vous me faire parvenir une copie de ce rapport intermédiaire?
Réponse de Elke Sleurs à la question n°
464 de Caroline Cassart-Mailleux:
1.
Les résultats intermédiaires ont été présentés sous forme de PPT lors
de la conférence du 10 mars 2016 sur la « Déclaration
des Bourgmestres de lutte
contre la pauvreté infantile : Les villes
et communes se mobilisent » au Résidence Palace, à Bruxelles, en présence
d’un peu plus de 150 participants.
2. Les premiers
résultats de l’étude en cours sur la pauvreté urbaine avec un volet pauvreté
infantile, commandée par le service Politique des grandes villes sont, en
résumé, les suivants:
Une analyse
de l’évolution des politiques en matière de lutte contre la pauvreté dans des
villes de plus de 60.000 habitants sur une période s’étalant entre 2003 et 2015
a été réalisée. Une cartographie des politiques réalisées est actuellement
établie sur un moyen terme, afin de pouvoir dégager les dynamiques, les bonnes
pratiques et ce qui fonctionne moins bien est en cours de réalisation. Une
analyse générale doit encore être effectuée, mais des résultats ont déjà été
engrangés concernant les villes choisies (deux par région). La Ville de
Bruxelles et Molenbeek-Saint-Jean pour la Région de Bruxelles-Capitale, Gand et
Malines, pour la Région flamande et La Louvière et Liège, pour la Région
wallonne. Sur le plan de la méthodologique les chercheurs ont travaillé sur des
sources similaires, soit des analyses documentaires des politiques menées
(contrats de ville, plans de cohésion sociale, politique sociale locale), mais
également des interviews de fond et des focus groupes. Des analyses de la
configuration des politiques menées sur le terrain ont été effectuées selon
trois critères : la vision générale de la thématique de la pauvreté
(problématique, définition de la pauvreté, causes, mesures prises),
l’organisation des politiques menées (de façon territoriale, sectorielle, catégorielle
et, le cas échéant intégrale) et le style de management (information, conseil,
avis, coproduction, participation, autogestion).
Concernant la ville de Gand:
La ville de
Gand est découpée en quatre territoires distincts (la périphérie nord est, le
centre-ville, la ceinture du 19e et la périphérie sud-ouest), avec
une concentration de la pauvreté autour de la ceinture du 19ème
siècle, là où auparavant se localisait l’industrie gantoise, avec un bâti
dense, constitués de petites maisons où l’on retrouve aujourd’hui plus de
pauvreté, plus de chômage (2,5 fois plus que la moyenne gantoise), un nombre de
revenus d’intégration supérieur de 10% à cette même moyenne gantoise et un
indice de prospérité, basé sur le revenu fiscal moyen, beaucoup plus bas que
dans les trois autres territoires de la ville. D’une manière générale, à Gand,
un enfant sur quatre vit dans la pauvreté.
En termes de
politiques menées, un décret flamand a été voté en 2004 enjoignant chaque ville
à mener une politique sociale locale qui accentue la collaboration entre le
CPAS et la ville à propos de ces questions. En 2006, la ville de Gand vote un
accord de majorité qui intègre le
président du CPAS au collège des bourgmestre et échevins de la ville de Gand,
pour plus de concertation, des contacts et des impulsions de part et d’autre.
La même année, une cellule Pauvreté est également créée dans le cadre de la
politique sociale locale, afin de formuler des suggestions en matière de lutte
contre la pauvreté et pour gérer l’ensemble des collaborations de manière
intersectorielle, avec une harmonisation des politiques et une collecte de
données. En 2011, une deuxième cellule Pauvreté est organisée avec des
régisseurs attachés à différents secteurs d’action (jeunesse, éducation…) et
des collaborations sont organisées entre ces régisseurs pour mener une
politique intégrée. Une nouvelle étape a été franchie après les dernières
élections communales, à la suite desquelles un nouvel accord de majorité est
signé pour 2013-2018. Le CPAS coordonne désormais les actions de lutte contre
la pauvreté, un échevin de lutte contre la pauvreté est nommé au sein du
collège. Cet échevin est également président du CPAS et joue le rôle de
signalisation et de passerelle politique. Un plan de lutte contre la pauvreté a
été voté avec des plans d’action sectoriels et la création de carrefours pour
recueillir les points de vue des personnes qui vivent dans la pauvreté. Un plan
de lutte contre la pauvreté infantile est également adopté.
Deux
exemples d’actions menées sur le terrain:
-
l’expérience « Buddy bij de wieg » menée dans le cadre d’une
formation de bachelier en travail social, où des étudiants ont été formés pour
accompagner des familles en situation de pauvreté pendant la grossesse jusqu’à
un an après la naissance. 18 familles ont été concernées et 36 étudiants,
impliqués. Les familles étaient d’origines diverses (belges et étrangères), les
institutions référentes : le CPAS, Kind en Gezin et CLB (Centrum voor
leerlingenbegeleiding). Les étudiants peuvent donner des informations sur la
grossesse, les droits sociaux, aider pour les prises de rendez-vous avec les
administrations, renvoyer vers d’autres organisations. Cette expérience a des
avantages, aussi bien pour les étudiants (orienté vers la pratique) que pour
les familles précarisées, mais aussi des inconvénients: le risque pour ces
familles est d’être confronté à des jeunes qui veulent aller trop vite et qui
croient savoir. Des questions se posent également sur le fait de savoir si
c’est bien la tâche de l’enseignement, ainsi que le fait que des étudiants ne
sont pas des professionnels et doivent coordonner leurs interventions avec les
organisations de terrain.
- Autre
initiative : des exercices de participation organisés par le CPAS de Gand
avec des enfants. Pendant les vacances, une liste de questions a été soumise à
des enfants à qui l’on a demandé de dessiner leur situation actuelle et la
situation qu’ils jugeraient idéale.
Il a fallu
ensuite recueillir ces récits et en faire le point de départ d’actions. Il a
fallu aussi gérer des situations difficiles soulevées par ces dessins. Un des
constats a été qu’il faut mettre les moyens pour mener une telle expérience.
Concernant la commune de Molenbeek-Saint-Jean:
La commune
de Molenbeek-Saint-Jean a été choisie dans le cadre de cette étude en raison
des politiques menées sur le terrain afin des rencontrer les défis énormes
propres à cette commune.
Comme pour
la ville de Gand, des éléments ont été avancés pour situer la typologie urbaine
de cette commune, comme le fait que Molenbeek soit divisée en deux zones: à
l’est, une ancienne zone industrielle, avec une densité de population et une
pauvreté importantes, à l’ouest, une zone plus verte et une population plus
favorisée. La ligne-frontière entre ces deux zones est matérialisée par la voie
ferroviaire. Molenbeek occupe la quatrième place en terme d’accroissement de
population après Bruxelles, Schaerbeek et Anderlecht. Elle présente une
importante population qui n’est pas d’origine belge (27,7%), dont un grand
groupe de population marocaine. En termes de démographie, on retrouve sur
l’entité beaucoup de grandes familles de plus de trois personnes (avec le plus
grand groupe en Région de Bruxelles-Capitale de ménages de plus de six
personnes), énormément de jeunes également (31% de la population a moins de 19
ans, contre 25% pour la moyenne régionale en Région de Bruxelles-Capitale).
Concernant les chiffres du chômage, là aussi on se trouve au-dessus de la
moyenne régionale (30,7% contre 22,5% en Région de Bruxelles-Capitale). Idem
pour les revenus d’intégration pour les plus de 18 ans (5,7% à Molenbeek contre
3,2% pour le reste de la région). Enfin, la demande de logement social émanant
des habitants de cette commune est également supérieure à la moyenne régionale.
De manière
plus spécifique, le risque de pauvreté chez les jeunes est beaucoup plus
important que dans d’autres communes. 40% des jeunes de moins de 17 ans vivent
dans un ménage où il n’y a pas de revenus professionnels.
Concernant
les premiers résultats de la recherche, à l’égard de l’organisation politique,
deux structures d’organisation ont été fondées il y a longtemps afin de lutter
contre la pauvreté sur le territoire de la commune : le service des Projets
subsidiés (consacré majoritairement aux projets financés par les subsides
européens, la Politique des grandes villes et les fonds régionaux) et l’asbl
Cellule de lutte contre l’exclusion sociale (CLES), qui se chargent des projets
d’inclusion et de prévention à l’égard des groupes moins favorisés. Ces deux
structures ont pour ambition d’utiliser de façon optimale les différentes
sources de subsides disponibles.
C’est le cas
notamment dans le domaine du logement, avec des logements sociaux de transit et
durables, des logements sociaux pouvant répondre aux demandes des grandes
familles (exemple du projet rue Fin, réalisé grâce à des subsides PGV,
européens et régionaux), mais aussi des projets basés sur le développement des
quartiers. L’emploi est également visé, avec des projets visant à réinvestir
des bâtiments industriels désaffectés. En matière de socialisation, de nombreux
projets ont pu été être élaborés grâce à un éventail de subsides, allant du
niveau européen à l’échelon communautaire. C’est par exemple le cas du service
d’accueil des primo-arrivants (SAMPA) qui, initialement, avait pour but
l’accueil et l’alphabétisation des primo-arrivants, mais qui, suite à une
désubsidiarisation pour cause de compétence transférée, a été transformé en
centre d’accueil pour MENA (mineurs étrangers non accompagnés).
La dynamique
de cette structure bicéphale est essentiellement impulsée par la commune. L’originalité
de ce dispositif tient à une grande inventivité des pouvoirs publics, une
transversalité forte, couplée à de la participation et une collaboration avec
les associations de terrain. On le voit par exemple dans le projet Housing
first qui implique le CPAS, mais aussi l’asbl « Infirmiers de rue »
et le secteur de la santé mentale. Un double mouvement est présent, avec une
impulsion donnée par la ville en matière de lutte contre la pauvreté, mais
aussi avec des remontées des attentes de la population. On peut penser au
comité Alarm qui mobilise réellement la population pour dénoncer les problèmes
de discrimination dans le secteur du logement.
Cela étant,
selon le chercheur, il y a peu d’interventions spécifiquement liées à la
pauvreté infantile, si ce n’est par les acteurs qui travaillent dans le secteur
de la petite enfance. La plateforme de concertation locale pour la détection
pour la prévention et la détection de la pauvreté infantile « Les enfants
d’abord » a été arrêté, avec pour causes invoquées : le manque de
budget pour pérenniser le projet, la difficulté de réunir différents acteurs
sur la cible spécifique des enfants, le contexte institutionnel avec des
chevauchements des niveaux de compétence (ONE, aide à la jeunesse, …).
En guise de
conclusion, on relève une politique top-down avec des structures fortes qui
permettent de réagir rapidement aux besoins et de les réorienter, au besoin,
selon les évolutions démographiques et les moyens en présence. Mais cela ne
signifie pas que cette politique soit unidirectionnelle : il y a une
consultation, de la participation, une implication de la population dans la
mise en œuvre des actions de lutte contre la pauvreté.
Concernant la ville de Liège:
La ville de
Liège est constituée d’une multitude de quartiers aux réalités sociales bien
différentes. 30% de la population vit dans des quartiers pauvres, surtout des
quartiers anciens situés autour du centre historique. La croissance
démographique y est plus faible que la moyenne wallonne (-0,16% à Liège en
2014, contre 0,38% en Wallonie), mais en revanche le vieillissement de la
population y est plus important. La part d’étrangers est quant à elle le double
de la moyenne wallonne (18,67% à Liège, contre 9,68% en Wallonie). Le chômage
est également supérieur (27,10% contre 16,10%), ainsi que le nombre de
logements non rentabilisés (le taux de logements des sociétés de logements
publics inoccupés au 1er janvier 2014 est supérieure à la moyenne
liégeoise). En matière de pauvreté infantile, la part des moins de 18 ans
vivant dans un ménage sans travail est plus importante à Liège qu’en Wallonie.
La courbe est néanmoins descendante de 2005 à 2013 (plus de 28% en 2005, moins
de 25% en 2013). Deux phénomènes expliquent cette diminution : le fait que plus
de jeunes dépendent aujourd’hui directement du RIS et ne sont donc plus à
charge des familles. Par ailleurs la pression financière a poussé plus de
ménages à travailler à temps partiel, en acceptant des emplois précaires, ce
qui mène à plus de travailleurs pauvres, non repris dans la catégorie des
ménages sans travail.
Face à ces
différentes problématiques, Liège propose des réponses organisationnelles
concernant des secteurs tels que le logement, l’emploi, la socialisation, la
grande précarité. La lutte contre la pauvreté s’appuie sur des outils
catalyseurs de budgets : les zones d’initiatives privilégiées – quartiers
d’initiatives (ZIP-QI), la Politique des grandes villes et le Plan de cohésion
sociale (anciennement plan de prévention et de proximité). Les synergies ville
- CPAS à Liège sont régulières, intenses et dynamiques, avec des prêts de
personnel, des outils de travail et des locaux partagés, des collaborations
dans les projets et des créations de projets, d’asbl, de groupes de travail
communs, ainsi que des projets transversaux de coordination. La spécificité du
métier CPAS est néanmoins respectée.
Par exemple,
des activités socio-culturelles et sportives ont été réclamées dans le cadre de
projets de quartier. Idem pour les Relais emploi-formation, demandés par la
population, ce qui a mené à la création d’un tel Relais en 2005 dans le
quartier Sainte-Marguerite en association avec la ville, le CPAS et le Forem.
Les services de première ligne d’urgence sociale sont également considérés
comme très importants à Liège. Ils reçoivent des subsides fédéraux et régionaux,
dans le cadre des plans de cohésion sociale 2009-2013 et 2014-2019. Liège a
conclu des conventions de partenariat avec des services d’urgence sociale du
CPAS, avec des intercommunales actives dans les assuétudes et la santé mentale
et également 13 asbl actives dans la grande précarité, la santé mentale et les
assuétudes.
En matière
de lutte contre la pauvreté, c’est une diversité de dynamiques qui est à
relever, notamment à travers une politique participative qui s’appuie sur les
forces vives des quartiers, afin de fixer des priorités sur la base des avis
rendus par la population. Dans le cadre du programme Politique des grandes
villes mis en œuvre depuis 2003, des actions sont mises en place via les
diagnostics de quartiers en difficulté et les projets de ville. Ont émergé de
ces dynamiques, des politiques de quartier transversales axées sur l’insertion
sociale et socioprofessionnelle, en collaboration avec la ville, le CPAS et le
Forem. En matière de politique d’insertion sociale, trois services du CPAS de
Liège sont à épingler: la Maison de la citoyenneté à Sainte Marguerite, la
Maison Carrefour désormais à Bressoux et la Ferme de la vache, à la Citadelle.
L’idée est de définir un parcours d’insertion avec des stagiaires qui ont été
momentanément exclus d’un parcours d’insertion socio-professionnelle et de
définir une trajectoire de vie et à la mettre en œuvre. À noter, le dispositif
de la Ferme de la vache qui, à l’instar des jardins à vocation sociale existant
en France, en Suisse et au Canada, propose des activités de jardinage comme
outil de réinsertion sociale. Les produits de la récolte sont vendus dans une
épicerie sociale à des prix modiques aux habitants du quartier et aux
bénéficiaires du CPAS. En matière d’innovation, on peut citer également le
projet ALOR (Accompagnement au Logement au départ de la Rue) qui a été mis en
place par des éducateurs de rue du Relais social du pays de Liège et précurseur
du projet Housing First auquel adhère également la ville de Liège.
En matière
de lutte contre la précarité infantile, on retrouve la même configuration que
la situation décrite précédemment à Molenbeek: le souci de la pauvreté
infantile est englobée dans la pratique d’une politique familiale, étant
entendu qu’une redynamisation du tissu social et familial aura un impact sur
l’amélioration du bien-être des enfants. Ce domaine ne fait donc pas l’objet
d’une politique précise de transversalité, si ce n’est à travers les politiques
du SPP Intégration sociale : le Fonds pour la Participation et Activation sociale,
avec son volet Pauvreté enfantine, et la plateforme « Les enfants
d’abord ». Le CPAS de Liège a d’ailleurs adhéré à ces deux projets,
notamment au travers du projet MAPIL (Mieux accompagner la pauvreté infantile à
Liège) qui cible les enfants de 0 à 8 ans dans le cadre des quatre écoles
choisies en fonction de la composition socio-économique de la population et
d’une antenne sociale Jeunes, créée en 2009.
En guise de
conclusions pour Liège en matière de style de gouvernance, on peut parler d’une
politique basée sur la participation, une utilisation des outils budgétaires
existants aux différents niveaux de pouvoirs, de lignes directrices fortes
émises par le pouvoir local, contrebalancées par une participation citoyenne
marquée et une politique de quartiers dynamique. Une synergie forte entre la
ville et le CPAS est également à souligner.
Cependant
certaines visions s’opposent, notamment en matière de lutte contre la
précarité, entre un monopole du pouvoir public et un partage avec le tissu
associatif, les acteurs privés.
On peut in
fine noter l’existence d’un plan communal de lutte contre la pauvreté établi en
son temps pour la période 2011-2015, impulsé par la ville et le CPAS, original,
transversal, réfléchi avec l’Université de Mons et une pluralité d’acteurs
comme les syndicats, les mutualités…
3. La présentation
PPT des résultats intermédiaires peuvent être téléchargés via ce lien : http://www.mi-is.be/fr/documents-relatifs-la-conference-du-10-mars-2016
Les actes
complets de la conférence du 10 mars 2016 seront disponibles sur le site
internet du SPP IS : www.mi-is.be dans le courant
du mois de juillet.
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