Monsieur le Ministre,
Je vous ai interrogé récemment sur les pistes possibles pour
sortir de la crise du lait. Il était convenu que le Conseil européen de
l’Agriculture du lundi 27 juin y serait consacré, à la demande de plusieurs
Etats membres dont la Belgique.
Monsieur le Ministre
-
Quelles pistes ont été mises sur la table pour
sortir de la crise du lait lors du Conseil européen de l’Agriculture ce 27
juin ?
-
Quelles sont celles qui seront sérieusement
étudiées et que vous soutenez ?
-
Ces pistes représentent-elles des solutions
durables ?
-
Avez-vous pu discuter de l’inefficacité de l’article
222 du règlement européen sur l’organisation commune des marchés des produits
agricoles au vu du manque d’incitants y liés ?
Je vous remercie.
Réponse de Willy Borsus à la
question n° 12852 de Madame Caroline Cassart-Mailleux:
Je répondrai globalement à vos
questions.
La situation des éleveurs laitiers
belges est catastrophique. En août 2016, le prix réel du lait ne dépassait pas
25,86 centimes d'euro par litre, soit une baisse de plus de 35 % depuis
l'instauration de l'embargo russe il y a deux ans.
Deux signaux prometteurs sont
cependant observés. Depuis juin 2016, la production tend à se stabiliser,
tandis que depuis avril 2016, le prix de certains produits laitiers a fortement
augmenté. Le prix du beurre a par exemple augmenté de 40 % et celui de la
poudre de lait écrémé de 17 %.
Plus de 580 millions d'euros,
préfinancés par les États membres, ont déjà été libérés pour les mesures
d'intervention publique sous la forme de stockage. Pas moins de 335 000 tonnes
de poudre de lait écrémé ont ainsi été stockées. La Belgique détient 15 % des
volumes européens. Les volumes d'intervention totaux représentent 3,4 milliards
de litres de lait, soit près
de 2 % de la production annuelle européenne totale. L'intervention publique ne
peut néanmoins en aucun cas être considérée comme un débouché à long terme.
Pendant plus d'un an, j'ai été à l'offensive lors des
Conseils européens et n'ai pas soutenu les mesures que je considérais
insuffisantes. Nous avons accepté les initiatives de stockage et d'aide
temporaire mais, depuis le début, nous les estimons insuffisantes parce
qu'elles ne réduisent pas la production.
Au cours des derniers mois, j'ai été amené à établir toutes
sortes de contacts informels bilatéraux avec mes collègues ministres et à
sensibiliser le Parlement européen à cette question. Lorsque la crise agricole
figurait à l'ordre du jour du Conseil européen, fin juin à Bruxelles, j'ai
également insisté auprès du premier ministre pour qu'il défende personnellement
ce point.
Depuis l'instauration de l'embargo russe, le commissaire
européen a mis en œuvre trois plans d'aides au secteur laitier: une aide
financière de 500 millions d'euros, la possibilité pour les coopératives de
convenir de volumes de production et pour les États membres, d'aider leurs
producteurs pour un montant de 15 000 euros – une mesure que nos Régions n'ont
hélas pas prise – et un nouveau plan de 500 millions d'euros incluant une
enveloppe de 150 millions d'euros pour une réduction volontaire de la
production.
Par ailleurs, une aide de 350 millions d'euros a été répartie
entre les États membres. La Belgique s'est vu allouer 11 millions, qu'elle a
distribués entre les Régions. Celles-ci ont, à leur tour, pu octroyer ce
montant, à leur guise, aux producteurs de lait et aux éleveurs de bovins, de
porcs, de chèvres et de moutons, mais pas au secteur fruitier ou maraîcher. Les
États membres qui le souhaitent ont la faculté d'octroyer, sur leurs propres
deniers, un montant équivalent à leurs agriculteurs.
Lors du Conseil européen de l'Agriculture de juillet dernier,
la Commission a indiqué qu'elle ne comptait pas entamer la réserve de crise
mais qu'elle accorderait anticipativement l'aide de la politique agricole
commune (PAC). La répartition du budget promotionnel a également été revue, en
l'occurrence à 110 millions d'euros pour 2016. Le 2 septembre, les ministres de
l'Agriculture et les représentants du Parlement européen et la COPA/COGECA en
France se sont penchés sur l'évolution de la prochaine période de programmation
de la PAC après le Brexit, donc après 2020. Le départ du Royaume-Uni de l'UE
représentera une perte annuelle nette de près de 7 milliards d'euros pour
l'Europe.
Les modalités de la future PAC doivent être simplifiées et la
PAC devra intervenir de manière proactive, de sorte à donner aux agriculteurs
les moyens de surmonter d'éventuelles périodes de crise. Une large part du
budget de l'UE devra être affectée à la gestion de crise. Certains États
membres songent à cet égard à la mise en place de mécanismes de stabilisation
des prix.
Lors d'un récent Conseil Agriculture informel en Slovaquie,
la Belgique a plaidé en faveur d'une plus grande régulation du marché par l'UE,
d'un renforcement de l'Observatoire européen des prix et d'une transparence
accrue de la chaîne. Un nouveau cadre législatif pour lutter contre les
pratiques commerciales déloyales a par ailleurs été évoqué.
Mme Gantois a rédigé une proposition de loi visant à
interdire l'abus de position dominante, mais ce problème doit plutôt être
abordé à l'échelon européen. De plus, l’Autorité belge de la concurrence,
instance indépendante, réalise déjà une étude sur la base de rapports de
l'Observatoire belge des prix ou de plaintes introduites par des opérateurs. La
concertation de la chaîne est un excellent outil européen qui doit être
maintenu. Je ne suis dès lors a priori pas favorable à un nouveau cadre
législatif visant à lutter contre les pratiques commerciales déloyales.
J'ai réuni tous les partenaires de la concertation
"chaîne" en y associant les Régions et le ministre Peeters. Nous
avons décidé d'actions concrètes de soutien à nos producteurs touchant la
transparence des prix, l'exportation, une task force pour les contacts avec les
travaux européens. Nous attendons beaucoup de la task force sur les marchés
agricoles. Nous avons aussi établi un lien entre nos producteurs et l'horeca.
Nous devons amplifier le travail de la concertation
"chaîne" au niveau belge et veiller aux règles de la concurrence tout
en renforçant la réglementation européenne et nationale.
Nous devons rester attentifs à ce qui se fait chez nos
voisins. La France a décidé d'un d'étiquetage propre de ses produits pour
encourager à choisir des produits français. Un repli sur soi de certains sera
dommageable à un pays exportateur comme le nôtre.
Il faut, au niveau européen, que des mécanismes de sécurité
balisent le marché pour éviter de reproduire la crise du porc quand, pendant
quatre ans, les producteurs se sont effondrés avant de voir les prix se
rétablir.
On ne peut imaginer un marché destructeur sans prévoir des
mesures structurelles. Le stockage est insuffisant. Il faut des instruments de
régulation et/ou des instruments assuranciels pour sécuriser les revenus des
producteurs.
Avec les Régions, nous devons promouvoir nos produits et
investir dans l'innovation, la recherche, la transformation des produits et les
valorisations alimentaires ou non alimentaires. Tout ce qui crée de la
plus-value de nos différents produits agricoles est un stabilisateur naturel
pour l'avenir.
Nous restons tourné vers l'exportation. Le prix du porc a
augmenté depuis le printemps grâce à l'ouverture vers la Chine.
Il faut soutenir notre capacité à
conclure des accords sanitaires et à promouvoir, via la diplomatie et nos
entreprises à l'étranger, nos produits agricoles, en étroite concertation avec
les Régions. Jusqu'à présent, on est parvenu à parler d'une seule voix pour
gagner le combat de l'avenir de notre agriculture qui génère 37 000 emplois
directs, deux fois plus d'emplois indirects, et plus encore dans
l'agroalimentaire. Malheureusement, on en perd chaque année.
Rita Gantois (N-VA): Le secteur
sort peu à peu d'une énorme crise. Nous sommes cependant encore loin de pouvoir
crier victoire. L'entreposage de ces volumes considérables de viande porcine et
de produits laitiers m'inquiète. Ces produits arriveront en effet tôt ou tard
sur le marché lorsque la capacité de stockage aura atteint ses limites.
La plupart des solutions devront
venir de l'Europe. Il est inconcevable qu'un pays limite la production tandis
qu'un autre décide de l'augmenter. Une limitation coordonnée de la production
n'est envisageable qu'en présence d'incitants financiers plus nombreux
qu'aujourd'hui.
À l'échelon européen, tous les
États ne sont pas sur la même longueur d'onde en matière de pratiques
commerciales déloyales. Il serait préférable de ne pas attendre indéfiniment
qu'un consensus se dégage et d'élaborer nous-mêmes un règlement capable de
protéger notre secteur.
Il est essentiel de préserver la
viabilité de l'agriculture si nous voulons permettre une gestion durable des
activités à tous les niveaux de la chaîne alimentaire. Or cette dernière compte
un grand nombre de travailleurs directs et indirects. Nous devons veiller à
conserver nos entreprises européennes pour produire nos propres denrées
alimentaires.
Caroline Cassart-Mailleux (MR): Les prix
du lait, de la poudre de lait et du beurre sont en train d'augmenter. Il y a
certainement un lien avec le stockage. Que ferons-nous quand le stockage sera
épuré? Des solutions structurelles et à long terme sont nécessaires et cela se
joue à l'échelle européenne.
Je vous rejoins sur un mécanisme de
régulation des marchés et un dispositif assuranciel.
Vous avez pris le dossier des
secteurs laitier et agricole à bras le corps et je vous en remercie car ils en
valent la peine.
À propos du renforcement de la
transparence dans la chaîne alimentaire débattue au Conseil européen informel,
nous allons dans le bon sens en termes de prix de marché.
Willy Borsus, ministre: Je crains
qu'avec le retour des prix concomitamment à celui des stocks, les fermes en
difficulté ne se remettent à produire.
Avec un prix à 32 ou 33 cents, les
fermes vont produire davantage. Si la production repart à la hausse, on aura
une nouvelle crise. Je me battrai au prochain Conseil européen pour éviter ça!
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